Un témoignage précieux à propos des répressions menées à Lyon

07/03/2022

Lisa a apporté une lettre écrite par un membre de sa famille. Cette lettre raconte les multiples représailles et les déportations menées par les nazis et les collaborateurs dans ce contexte de libération du territoire. Voici, l'arbre généalogique de Lisa pour comprendre cette lettre retranscrite.

Chers Blanche, Léon et chers enfants

Je ne vous ai pas donné de nouvelles car il n'y a que des mauvaises nouvelles. Notre cher Israël n'est plus ni Monsieur Klakr. C'est au dernier moment, quinze jours avant la libération, le 17 Août 1944, que j'ai été arrêtée avec Israël comme Juif dans la rue. Deux hommes de la Gestapo et deux femmes de la milice nous ont demandé les papiers et ont vu tout de suite que nous étions juifs. Là, on m'a promis de nous relâcher si nous donnions 40 000 francs. Ils sont venus avec moi à la maison pour fouiller et pour chercher Maurice. Mais heureusement il n'était pas à la maison. Robert, lui, était en Suisse depuis le 1er Juin et s'y trouve encore. Ils m'ont battue jusqu'à ce que le sang coule pour dire où se trouvait Maurice. Mais moi je me suis dit que même s'ils me tuent, je ne le dirai pas. Je me suis procuré de l'argent mais on ne nous a pas relâchés. Quand je lui ai demandé de nous relâcher, on m'a répondu : "Sind sie bled oder machen sie sich bled ?" On nous a emmenés en prison au "fort Montluc". Le lendemain, le 18 août 1944, on a sorti tous les Juifs qui s'y trouvaient et on les a amenés dans un camp d'aviation près de Lyon, à Bron où il y avait de grands trous à la suite d'un bombardement et là, on les a tous fusillés et enterrés dans ces trous. Le 17 et le 18, on a fusillé en tout, à Bron, plus de 100 personnes parmi lesquelles plus de 70 Juifs. Le 20 Août on a fait sauter 120 membres de la Résistance à Saint-Genis-Laval, près de Lyon. Moi, je suis restée huit jours au fort Montluc, et le 24 on a été libérés par la résistance. Il m'est impossible de vous raconter les huit jours que j'ai passé. Je me demandais ce que faisait Israël et où était Maurice, je ne savais pas s'il avait été pris car d'habitude, ils restent à la maison et attendent les gens qui viennent. Mais par miracle, ils ne sont pas restés et Maurice n'a pas été arrêté. Quand je suis sortie, j'ai cherché Israël partout mais on m'a répondu qu'il n'y avait plus un seul homme juif et que les Allemands les avaient tous fusillés avant de partir. Je ne peux pas vous décrire ma douleur. J'ai été, alors, chez madame Hollander (son mari est déporté depuis mars 1943 et Gustave est prisonnier de guerre depuis cinq ans) car les Allemands étaient encore là. Maurice était chez Anna, pas à Lyon, pendant mon absence. Le deux et le trois septembre 1944, nous avons été libéré. Mais nous, nous avons pleuré au lieu de nous réjouir. Je ne peux pas vous raconter la vie que nous avons menée, pendant l'occupation. Je ne peux pas bien écrire car cette lettre me fait pleurer. Ma vie est brisée pour toujours d'avoir perdu un mari comme celui là. Je n'ai plus personne au monde que mes deux enfants et vous car je ne sais pas ce que sont devenus nos pauvres parents en Pologne. Mes cousins, Hersch et Jinckle ont été déportés dans les premiers en 1941.  Avroum est resté tout seul ; il a manqué aussi d'être pris. Le mari à Hilda a été pris en même temps que mes cousins. Hilda et son enfant a été pris le 16 juillet 1942 et des milliers d'autres femmes et enfants. Monsieur Klahr a été fusillé près de Grenoble par la Milice au mois d'Avril 1944. Il y avait eu un attentat contre un chef de la Milice. En représailles, ils ont arrêté n'importe qui dans la rue, quatre Juifs et quatre Français et les ont fusillés après les avoir torturés. Madame Klahr avait été déportée déjà de Grenoble au mois de janvier 1944 au cours d'une rafle. Le petit Michel se trouvait alors à la campagne. Il est maintenant chez Sahoulem et il va très bien. Vous ne pouvez vous imaginer la douleur que nous avons ressentie. Burstyn a été fusillé au mois de janvier 1944 à Drancy avec 52 autres. Le fils Léon a été déporté comme réfractaire, pas comme juifs. Jochvet ne peut pas supporter la douleur. Biegeleison a été déporté et Chaïm le Roumain aussi. Max est resté dans un camp, pendant toute la guerre mais il n'a pas réussi à s'en sortir au dernier moment. La femme à Hersch et sa petite fille ont été déportés, la femme au grand Hersch Shwartz a été déporté avec ses trois enfants tous les deux le 16 juin, lui qui était dans un camp d'Anglais a été libéré. Il y en a encore beaucoup d'autres qui ont été pris, mais je ne vous dis que ceux que vous connaissez.

Maintenant, je reste pour l'instant à Lyon car à Paris, les Allemands m'ont pris mes affaires et dans mon logement, il y a maintenant un sinistré qui y habite et je ne peux pas l'avoir pour le moment. Je fais des démarches mais je ne sais pas si cela aboutira car il y a beaucoup de sinistrés à Paris, à la suite de bombardements, qui n'ont pas de logement. Moura va toujours au lycée. Il a passé la première partie du baccalauréat. Il va passer la deuxième partie à la fin de l'année. je ne sais pas encore ce qu'il fera, car si la guerre continue, il sera certainement mobilisé. Je n'ai rien écrit à Robert au sujet de Israël. C'est justement aujourd'hui son anniversaire ; cela lui fait 14 ans. Je crois qu'il va revenir ces jours-ci mais je ne sais pas exactement quand, car les transports marchent mal. Moi, je travaille très peu car il manque des matières premières, mais surtout je n'ai plus de forces après tout ce qui s'est passé. Les premiers mois, nous ne pouvions presque pas manger. Mais maintenant cela va un peu mieux, mais c'est très triste de vivre dans la solitude et de ne pas entendre de bonne parole de son mari. 

Le site "maitron fusillés https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article190383 fait mention d'Israël Pfeffer. Voici un extrait de cet article :

"En septembre 1944, cinq charniers furent découverts sur le terrain d'aviation de Bron. Le corps d'Israël Pfeffer fut retrouvé le 21 septembre dans le charnier C, situé au nord du hangar numéro 13 et contenant 25 cadavres (répartis vraisemblablement comme ceci d'après différents témoignages : 22 victimes du 18 août, 2 victimes du 17 août et le corps d'une femme exécutée probablement le 21 août). D'après le médecin légiste, Israël Pfeffer fut tué d'une balle dans la tête. Son corps fut décrit ainsi : 1m65, cheveux noirs. Il fut d'abord enregistré sous le numéro 58 puis identifié le 27 septembre 1944 par son fils Maurice Pfeffer grâce à son dentier et ses chaussures. Israël Pfeffer fut inhumé au cimetière juif de Lyon - La Mouche (VIIe arr.).

Il obtint la mention Mort pour la France en 1945. Il fut homologué sous-lieutenant FFI en 1951. Le titre d'interné résistant lui fut attribué en 1953. A Bron, son nom apparaît sur le monument dédié « aux morts de Montluc victimes de la barbarie allemande fusillés à Bron ».
En 1984, son fils Maurice Pfeffer porta plainte avec constitution de partie civile contre Klaus Barbie."
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